Ayant participé au BRM200 de Chartres en 2019 dans le cadre de la préparation du PBP, j'avais reçu fin Août un email du club local (MSD Chartres) nous informant que les brevets de 200 et 300 km, prévus le 19 septembre 2020, étaient maintenus. Après les quelques sorties de 150-200 km faites depuis la fin du confinement, en club (la "Barsi") ou plus souvent en solo, l'idée de conclure la saison par un 300 km commença à me trotter dans la tête.
A l'approche du WE du 12-13 septembre, la météo s'annonçait radieuse. Je décidai donc de me lancer sur un "presque 300 de Flins", comprenez le parcours du BRM éponyme mais en téléportant le départ et l'arrivée de Flins à Orgerus – 260 km tout de même. Nous avions fait ce brevet en 2017 avec Valérie, Stéphane, Jean-Louis et Alexis, et son parcours très roulant m'avait bien plu. Résultat, 28,5 de moyenne à l'époque.. pas mal pour des cyclos non-Philippiens. Je m'élançai donc ce 12 septembre (le 11 j'aurais pas osé...) au lever du jour, vers 7h30. Après avoir franchi les quelques coups-de-cul de nos routes d'entrainement pour rejoindre Epernon, le plat pays de la Beauce s'offrait à moi. Pas de vent (ou alors je ne le sentais pas), quelques villages interrompant temporairement la régularité de pédalage, je me retrouvai donc à Nogent-le-Rotrou (km 140) à 29,5 de moyenne, sans vraiment forcer. Les quelques monts du Perche aidant, et la fatigue un peu aussi quand même, feront redescendre la moyenne d'un bon km/h à l'arrivée. Peu importe, je suis super content de ma journée sous une belle météo ensoleillée on ne peut plus adaptée à la pratique du vélo. Et j'ai fait d'une pierre deux coups : refaire ce BRM300 de Flins, et clôturer ma saison cyclo par une longue distance.
En ce début de semaine, Patrick Philippe me lança un e-mail dont le message était en substance " Je fais le 300 de Chartres samedi prochain avec Stéphane Boudry, tu le fais avec nous ?". Du tac-au-tac, je lui réponds que je viens de faire un 260 en solo et qu'il faut être raisonnable. Du tac-au-tac, il me lance "si tu es reposé, tu dois être en forme". Du tac-au-tac, je lui dis "… euh…. Je réfléchis". En effet, la météo s'annonçant capricieuse, et ayant atteint mon objectif de fin de saison, je n'envisageais ce bis repetita qu'à condition d'y prendre du plaisir. S'ensuivirent plusieurs échanges, chacun suivant la météo de son côté pour voir jusqu'où se lancer sur ce 300 automnal était indiqué, Patrick y allant même d'un "je n'ai pas envie de rentrer dans le dur en fin de saison". Je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire car en quinze ans, je ne l'ai jamais vu rentrer dans le dur ; à moins qu'il n'envisage de se prendre un mur de face ? De son côté, Stéphane était motivé comme jamais, comprenez que seule une jambe cassée ou le vol de son vélo l'empêcheraient éventuellement de prendre le départ, mais en aucun cas la météo. Pourtant, étaient annoncés pluies éparses le matin (pas gênant), vent de face au retour (plus préoccupant), et risques d'orages sur Chartres dans l'après-midi (franchement embêtant, voire dangereux). On a vu mieux pour motiver un indécis.
Mais il y avait dans cette triplette un petit parfum de brevets PBP, et vous savez que pour moi le PBP ce sont surtout les brevets, par la force des choses. Kaptain étant inscrit de son côté sur le BRM200, et Valérie en semi-pause vélo depuis son GR20 estival, le quintette à chaine ne pouvait faire mieux qu'un trio (à vent) pour autant que je me décide moi aussi à jouer du hautbois (clin d'œil à notre meilleur sponsor). Ce vendredi vers 18h, je confirmai donc ma participation par un "je vous accompagne", plus motivé par la volonté d'être avec les copains que persuadé que la sortie allait être plaisante. Mais parfois, il faut se forcer un peu. "Force" sera d'ailleurs un mot de circonstance au vu de ce qui nous attendait.
La nuit fut courte. Bien que couché à 21h, il me faudra longtemps pour trouver le sommeil. Entre un besoin naturel satisfait à minuit et le lever prévu vers 2h30, je somnolerai plus que ne dormirai vraiment. Pas idéal. Mon bulletin d'inscription fait sur place (vu ma décision tardive de participer) dès l'ouverture à 4h15, j'étais prêt pour accueillir mes deux compagnons de route arrivés à Chartres à l'heure prévue (4h30). Le temps de se préparer, vérifier que l'on n'a rien oublié, et nous voilà partis à 4h49. Enfin, partis… c'était sans compter le bonus Garmin du départ (n'est-ce pas Kaptain), qui dit à gauche quand c'est à droite. Dix minutes à se paumer dans les alentours, petit coup de stress, retour au complexe sportif de la Madeleine pour réinitialiser le parcours et nous voilà vraiment en route vers 5h00. Après quelques km, un cyclo cherchant son chemin dans Chartres se colle à nos roues ; il le restera toute la journée.
Rouler de nuit est à chaque fois une redécouverte et un plaisir. Les sensations de l'aventure y sont plus perceptibles que de jour, au contraire du trafic routier. A peine un jeune sanglier troublera't-il un bref instant notre quiétude (petites sueurs froides à retardement), sinon RAS jusque Mortagne (km 83), premier pointage, que nous atteignons à 29 de moyenne sans vraiment forcer (vitesse de croisière à 33-34). Patrick Gilant, parti en solo à 4h30 et que nous avions doublé quelques km plus tôt, nous y retrouve pour partager la première collation.
Le second tronçon nous emmenant à la Ferté-Frênel (km 123) traverse le Perche et ses monts et vallons bien connus des Bresteurs. Nous y perdrons 1 km/h de moyenne, la faute à Bibi, moins à l'aise sur ce type de terrain. Le troisième tronçon sera dépourvu de toute côte, nous offrant même 50 km à -0,4% de dénivelé cumulé jusque Brionne. Le km/h perdu dans le Perche sera regagné en moins de 25 km (faites le calcul…). Relais huilés à nous trois, notre compagnon du jour étant manifestement plus à l'aise dans les côtes que pour enrouler du braquet. Les kilomètres défilent aux alentours de 35-36… pour commencer. Puis, à sa bonne habitude, notre mobylette bazainvilloise augmente imperceptiblement le rythme, tutoyant régulièrement les 40 à l'heure. En fumant la pipe, et en se disant que si ça suit, c'est que c'est bon. Sauf que derrière on commence à tirer la langue. Enfin, moi, car Steph est manifestement dans un bon jour : la motivation est souvent un dopant naturel. Après une demi-heure où manivelles et cardio s'emballeront, je demande à ce que l'on baisse le rythme, anticipant que la journée n'est pas finie. Euphémisme. Nous voilà donc revenus aux alentours de 33-34 comme ce matin. L'impression de se retrouver sur une départementale après 400 km d'autoroute, mais c'est plus sage vu la distance qu'il nous reste à parcourir. Notre 4ème homme ne s'en plaindra pas, lui qui n'a plus visité la première place du groupe depuis bien longtemps.
Nous arrivons à Brionne (km 173) vers 11h30. Bilan : 29,3 le matin ("37,2" était hors de portée… mais on a la Dalle quand même). Donc petite collation à la boulangerie du coin. On donne des nouvelles à la famille, jusque là tout va bien.
On repart au son des cloches (midi). Il reste 125 km, qui débutent par une petite côte à 4-5% pour s'extraire de la vallée de la Risle. Arrivé en haut, on perçoit immédiatement ce que nous devrons déployer comme énergie pour rejoindre l'arrivée : vent de trois-quart face, sur le plateau ou seuls des champs de céréales coupées nous serviront d'abri. Autant dire le néant. Ce quatrième tronçon nous emmène jusqu'à la Bonneville sur Iton (… Iton pas dit que les conditions seraient bonnes, tes deux potes ?). J'ai du mal. La digestion du sandwich ou du carré au pomme (ou des deux) n'arrange rien. Grosse défaillance sur les 15 km avant le contrôle. Au point que notre quatrième homme prendra deux relais appuyés (tu m'étonnes…), qui me feront sauter. A la Bonneville (km 214), deux cafés pour rester éveillé (je les attendais depuis Mortagne), coca, fruits secs, abricots secs, barre de céréale. Et recharge des 8 bidons !!
C'est reparti, je me sens déjà beaucoup mieux. Le cinquième tronçon est court (34 km) et nous emmène jusque Nonancourt (km 248). Il est avalé avec des relais efficaces malgré les conditions toujours aussi contraires. Patrick souvent devant, notre hôte du jour à sa place de prédilection (derrière), Steph et moi relayant alternativement notre mobylette écolo selon nos possibilités du moment. A Nonancourt, pointage et coca dans le café du coin. Au moment de repartir, nous voyons arriver Fred Richard, totalement déconfit, mal partout, qui n'a pas pu suivre ses compagnons de route sur le 200. Nous apprendrons plus tard (via Strava) qu'il était prévu qu'il abandonne là-bas, mais il a finalement terminé !! Nous pensons aussi à Patrick Gilant, s'il n'a pas trouvé de groupe pour s'abriter un peu au retour, ça a du être galère… mais il y est aussi arrivé. Bravo à tous les deux pour votre abnégation.
De notre côté, nous repartons pour l'ultime tronçon jusque Chartres. Il reste 53 km à parcourir, dans le vent. Les organismes commencent à fatiguer. Patrick est de plus en plus souvent devant, ajustant son coup de pédale à notre (ma…) capacité de suivre. Steph, après un petit coup de moins bien, a retrouvé la pêche. Deux ou trois relances induisent quelques contractions dans mes cuisses, les crampes ne sont pas loin. Notre compagnon de route lâchera prise une première fois sur un segment particulièrement exposé au milieu de rien ; on l'attendra. A la seconde explosion, quelques km plus loin, nous déciderons de ne pas l'attendre : nous ne souhaitons pas rentrer à pas d'heure, nous lui avons offert nos roues pendant plus de 280 km, la charité a largement fait on œuvre. Nous finirons donc à trois.
Les 30 derniers km seront difficiles pour moi. Une crampe sur une relance après un carrefour, heureusement légère, mais qui imposera néanmoins un petit arrêt. A partir de là, je me contenterai de suivre la roue de Patrick, en la regardant fixement, sans m'occuper du paysage, au demeurant sans intérêt. La protection du vent qu'il m'offre est toute relative vu son gabarit, mais difficile de le lui reprocher : on est comme on nait !
Steph fatigue aussi, mais est clairement moins entamé que moi (il a même le temps de prendre des photos !). Chaque faux-plat me distance de quelques mètres, obligeant mes deux compagnons à lever le pied. Je n'ai plus de force, et mon incapacité à avaler autre chose que de la nourriture "normale" au-delà d'une certaine distance joue contre moi. Ah si on m'avait proposé à ce moment-là un bon plat de pâtes bolo comme à Grammont lors du BRM600 de l'an dernier….
Passé Bailleau l'Evêque, à une petite quinzaine de kilomètres de la délivrance, le vent semble soudainement favorable, du moins sur certains tronçons. Je ne vais pas m'en plaindre. En plus, cette fois c'est sûr, on échappera aux orages potentiellement prévus par la météo de la veille. L'arrivée dans Chartres mélange le soulagement de l'arrivée toute proche à l'horreur de constater que j'ai les pieds qui commence à chauffer. Une première pour moi. En plus, les comiques du MSD Chartres nous font revenir par la côte du cimetière, longue de 200 mètres peut-être, mais tutoyant les 10%. C'est en trop, la relance en haut de la côte crispe immédiatement ma cuisse gauche. Nouvel arrêt obligatoire pour relâcher le muscle. Steph sent l'écurie et a pris quelques centaines de mètres d'avance, pressé lui aussi d'en finir. Patrick veille sur moi comme une mère sur son enfant amoindri. L'arrivée au complexe de la Madeleine pointe enfin le bout de son nez, après 11h15 de roulage et 311 km, TVA Garmin incluse.
Je suis mort, vidé, lessivé, laminé. Même si toute la première partie fut assez agréable, le "plaisir" sera finalement plus dans la satisfaction d'y être arrivé que dans la sortie elle-même, comme je le craignais un peu lorsque j'ai finalement décidé d'accompagner Patrick et Steph. Mais ça nous fera un souvenir de plus à partager !